Langues en voie de disparition

Langues en voie de disparition

Environ 6500 langues sont parlées actuellement dans le monde. D’après les scientifiques, d’ici un siècle, il n’en restera sans doute que la moitié. Jugeant la situation assez grave, ils appellent à agir vite.

Mais qu’est-ce qui est à l’origine de cette situation? Les langues sont-elles aujourd’hui plus menacées que par le passé? Comment parer à cette menace?

Si la disparition des langues est un phénomène naturel en soi – 30.000 langues ont disparu depuis 5000 ans-, ce qui fait craindre le pire, c’est la vitesse à laquelle cette menace s’étend sur nombre de langues que l’on croyait jusque-là à l’abri du risque. En effet, les scientifiques s’accordent pour dire que ce ne sont pas seulement les langues des territoires reculés ou éloignés qui sont aujourd’hui menacées ou encore celles ayant le moins de locuteurs, mais tout aussi bien celles des zones les plus proches de soi, dans les grandes villes, des grands pays. Et aucun continent n’en réchappe, Europe, Afrique, Asie, Amérique, Inde, Australie.

 

Les raisons de la menace

Les raisons de cette menace sont multiples. Dans tous les cas de figure, on retrouve des facteurs communs, qui vont constituer une sorte de ‘’constantes’’ ‘a toutes ces langues:

  • une baisse drastique du nombre de locuteurs (jusqu’à moins de 500 locuteurs par endroit, alors que, pour être viable, une langue a besoin d’être parlée par au moins 100.000 locuteurs);
  • la dispersion géographique des locuteurs natifs hors du territoire originel -pour des raisons d’émigration, d’exil, déplacement des populations, de mariages mixtes…-;
  • la faiblesse de la production culturelle;
  • la plupart des langues menacées sont des langues à tradition orale, c’est-à-dire non écrites, de sorte qu’il leur est aujourd’hui difficile -voire impossible- de se maintenir face à un environnement où ‘’les langues étrangères’’ telles le français, l’anglais, l’espagnol, le japonais, le chinois… dominent tout l’espace culturel. ‘’90 % des locuteurs kabyles étaient unilingues en 1950; en 2030, ils seront seulement 0,01 %.’’, avertit M. Hocine Toulait, linguistique installé au Canada.
  • la situation est aggravée lorsque la langue maternelle entre en conflit de façon permanente ou pour une longue période avec une langue dominante en tous points de vue, une langue riche par sa production littéraire et intellectuelle et ses supports audio-visuels, qui dispose de moyens de défense et de promotion évidents : un État, un statut, des institutions (académies, universités et écoles, télévisions et journaux…), des prix littéraires… La langue dominante finit généralement par ‘’neutraliser’’ la langue dominée dont elle empêche -ou réduit- toute forme d’expression; les locuteurs, impuissants, finissent par recourir à la nouvelle langue dominante -importée ou déjà présente sur le territoire- pour exprimer leurs besoins.

 

Des langues économiquement non viables

La mondialisation n’est pas seulement ce sésame qui permet aux biens et personnes de circuler d’un pays à un autre, notamment des pays industrialisés vers les pays pauvres dans le cas qui nous intéresse; pour ces langues en sursit et leurs locuteurs, c’est aussi une source d’inquiétude. La mondialisation introduit des langues étrangères dans des zones autrefois unilingues, qui s’imposent comme les langues de référence dans le monde de l’emploi et du commerce, de la technologie, des sciences, de la communication, etc. Ce sont les langues des compagnies industrielles. D’ailleurs, trouver un emploi dans ces compagnies exige d’en connaitre la langue; utiliser un produit fabriqué par ces compagnies exige d’en connaitre la langue… Et tout cela se fait au détriment de la langue maternelle, comme le souligne Steven Bird. Ainsi, on a entendu des locuteurs kabyles se défendre de recourir au français pour éduquer leurs enfants : ‘’Le kabyle ne nourrit pas!’’ C’est dire à quel point la vision des locuteurs sur leur propre langue est tronquée par le nouveau contexte économique mondial : si une langue n’est pas rentable économiquement, elle ne présente ‘’presque’’ plus d’intérêt pour personne. Jusqu’à date, seules 300 langues sont considérées par les compagnies internationales comme ‘’rentables’’, qui leur garantissent des moyens technologiques de promotions efficaces, et 103 langues sont déjà présentes sur des plateformes technologiques et autres moteurs de recherche tel que Google traduction, Wikipédia…; d’un autre côté ce sont 200 langues africaines, qui ont pourtant résisté à la colonisation qui risquent de ne plus être entendues d’ici quelques dizaines d’années.

Comment sauver ces langues de la disparition?

Enregistrer et documenter ces langues

Pour François Yvon*, chercheur en traitement du langage au CNRS, ce ne sont pas seulement les langues en voie de disparition qu’il faut sauver, mais tout aussi bien leurs locuteurs, qui sont seuls et livrés à eux-mêmes, dans la solitude et le vide qui résulte du manque -voire de l’absence- de production littéraire et culturelle, de moyens d’expression aussi; des locuteurs qui ont fini par croire que leur langue n’est plus adaptée pour exprimer leurs besoins dans un monde moderne en pleine mutation. ‘’Il faut sauver ces personnes et sauver leur mémoire’’, dit-il. Comme beaucoup de ces langues ne sont pas écrites, il préconise de les enregistrer et de les documenter au mieux des possibilités: ‘’Sur le terrain, les linguistes pourront enregistrer les contes, les récits de vie, noter tout ce qui peut l’être; ils pourront ainsi recueillir des informations étendues et de qualité sur ces langues’’. Et de préciser : ‘’Du point de vue de la société qui perd cette chaine de transmission, c’est une tragédie!’’

Alexis Michaud, lui aussi chercheur au CNRS, partage ce point de vue. Il affirme qu’ «une langue est sauvée, s’elle offre un fond documentaire à la fois étendu et de bonne qualité», précisant que s’ «il appartient aux linguistiques de recueillir ce fond selon des normes scientifiques, de simples passionnés, des associations et autres institutions publiques peuvent désormais y participer, puisqu’il s’agit de sauver de la disparition une langue millénaire». C’est toute la mémoire vive d’une communauté qui doit être enregistrée, transcrite : poèmes, chants… Plus ces banques seront riches, plus longtemps vivront ces langues.

 

Changer le regard des locuteurs sur leur propre langue

Il faut aussi intervenir au près des locuteurs pour rehausser dans leur égo le statut de leur langue. Souvent victime de discrimination et de politiques linguistiques exclusives, ces langues ont de la difficulté à se développer. Une journée a été consacrée par les Nations Unies pour promouvoir ces langues maternelles, qui intervient à la date du 21 octobre-, mais cela suffira-t-il? M. Michaud n’en démord pas : ‘’l’apprentissage d’une langue maternelle est un tremplin à l’apprentissage d’autres langues… il faut considérer la langue maternelle comme une richesse’’.

Inciter à la production

Les locuteurs de chaque langue doivent conscience que leur langue est menacée si tel est le cas. Il leur revient alors d’œuvrer à la préserver, tant il est vrai que perdre sa langue maternelle est « une tragédie» en soi, aussi bien pour eux d’abord que pour l’humanité. Que peuvent-ils faire? La réponse est simple : Recueillir le plus de traces physiques de leur langue -en les écrivant, en les enregistrant, en les filmant-, autant de données qu’ils mettront ensuite à la disposition de toutes les personnes ou groupes intéressés, chercheurs, passionnés ou simples curieux désireux d’en connaitre un bout sur leur langue. De même, ils doivent relancer la production culturelle dans leur langue maternelle : poésie, roman, théâtre, chanson, récit de vie…

 

Enseigner dans sa langue maternelle

Tel est le défi lancé à tous les concernés : enseigner dans sa langue maternelle. Pour pouvoir continuer d’exister, continuer d’être le témoin des temps anciens et des temps présents. Il n’est pas vrai que la langue maternelle nuit à l’apprentissage d’une deuxième langue. C’est même plutôt le contraire qui se produit. En effet, il est bien plus facile à un enfant de reproduire dans la langue B les sons -aussi complexes soient-ils- qu’il maitrise déjà de façon naturelle dans sa langue maternelle que l’inverse. Ce qu’il ne risque pas de comprendre de sitôt, c’est pourquoi il doit apprendre dans une langue étrangère -puisque ce n’est pas la langue de ses parents. Sa langue maternelle n’en est-elle pas une? Si ses parents ont toujours communiqué dans cette langue, pourquoi ne pourrait-il pas continuer à le faire? M. Yvon invite tous les enfants du monde à suivre leur scolarité dans leur langue maternelle : L’accomplissement de l’enseignement avec une langue maternelle peut-être une chose très utile’’.

*2019, « Faut-il sauver les langues en danger ? » (François Yvon et Alexis Michaud), Universcience – Cité des Sciences et de l’Industrie, décembre 2019. 26 mn.

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